Pour pouvoir traiter correctement leurs animaux, les agricultrices et les agriculteurs doivent faire preuve d’une certaine sensibilité à leur égard. Dans le même temps, ils sont contraints d’amener leurs animaux jeunes et en bonne santé à l’abattoir pour en tirer de la viande. Est-ce la raison pour laquelle le taux de suicide chez les agricultrices et les agriculteurs à travers le monde est nettement plus élevé que dans la population moyenne ?
Au Royaume-Uni, la charge psychologique qui pèse sur les agricultrices et les agriculteurs a fait l’objet d’une enquête approfondie.1
Plus de 90 % des jeunes paysannes et paysans considèrent la question de la santé mentale comme le plus grand danger caché pesant actuellement sur l’agriculture britannique. Le problème semble donc bien plus grave qu’on ne le pensait jusqu’à présent.
L’étude britannique a révélé des résultats alarmants : plus de la moitié (56 %) des éleveuses et des éleveurs se sentent « extrêmement » à « modérément » affectés par leur travail sur le plan moral, et 45 % ont déclaré réprimer leurs sentiments de compassion envers leurs animaux. En outre, 35 % disent avoir été traumatisés par certains aspects de leur travail avec les animaux. Les conséquences de ces sentiments refoulés ne sont pas surprenantes.2 Mais le problème est d’autant plus grave que près de la moitié (48 %) ont déclaré ne pas pouvoir parfois parler de cette partie difficile de leur travail avec leurs amis ou leur famille.
Pour éviter d’être directement confrontés à la mise à mort de leurs animaux, la plupart des agricultrices et des agriculteurs confient cette tâche à d’autres. Une personne décrit sa situation ainsi : « Autrefois, nous mangions nos propres poulets, dindes et oies. Je les tuais moi-même et je me sentais toujours terriblement mal. Comme je devais les abattre, les vider et les préparer moi-même, j'avais du mal à les manger. C’est pourquoi aujourd’hui, je laisse quelqu’un d’autre abattre mes moutons. »
Les préoccupations morales des éleveuses et des éleveurs existent dans le monde entier et semblent s’intensifier. Pourtant, presque personne n’ose en parler. C’est du moins ce qui ressort du témoignage suivant :
« De plus en plus d’agricultrices et d’agriculteurs sont moralement affectés par ce qu’ils font, à savoir s’occuper d'animaux destinés à l’abattage. C’est un phénomène nouveau et universel, et tout le monde le sait. Mais en tant que paysanne ou paysan, on n’a pas le droit de le dire ; ce serait une haute trahison. »3
Les trois quarts des agricultrices et des agriculteurs interrogés pensent que les autres éleveuses et éleveurs sont (eux aussi) en proie à des remords lorsqu’il s'agit d’amener leurs animaux à l’abattoir. Et environ la moitié d’entre eux estiment que cet aspect est sous-estimé.
Ouverture au changement
Près des deux tiers des personnes interrogées (63 %) seraient disposées à réduire leur cheptel, et 49 % envisageraient d’abandonner complètement l’élevage s’il existait des alternatives financièrement viables. 70 % des paysannes et des paysans apprécieraient que le gouvernement les aide financièrement à se tourner vers une agriculture sans animaux. Et 74 % d’entre eux seraient favorables à ce que le gouvernement encourage la reconversion des éleveuses et des éleveurs vers une agriculture sans animaux.

Il apparaît donc clairement que ce sont principalement des problèmes financiers qui empêchent les agricultrices et les agriculteurs d’abandonner l’élevage. En Suisse, environ 82 % des subventions agricoles sont malheureusement encore liées à l’élevage. Une telle situation rend difficile la transition vers une exploitation agricole sans élevage, car elle entraîne la perte de nombreuses subventions.
En Suisse non plus, les agricultrices et les agriculteurs ne peuvent guère compter sur l’aide de l’État pour se reconvertir. Il existe néanmoins deux organisations privées qui proposent des conseils et un accompagnement pour passer à une agriculture sans souffrance animale : Transfarmation en Suisse alémanique et l'Association Co&xister en Suisse romande.
Il serait également important de mieux faire connaître la possibilité d’une agriculture bio-végétalienne dans notre pays. Actuellement, les personnes qui suivent une formation agricole dans notre pays n’apprennent pas comment pratiquer une agriculture sans engrais fécaux ni engrais chimiques.
- Flores, C., Knowles, R., Bryant, C. et al. ‘Death by a thousand cuts’: The Role of Moral Distress and Moral Injury in Farmer Mental Ill-Health. Journal of Agricultural and Environmental Ethics 38, 18 (2025). https://doi.org/10.1007/s10806-025-09955-3
- Emotion suppression and mortality risk over a 12-year follow-up, Journal of Psychosomatic Research, Volume 75, Issue 4, 2013, Pages 381-385, ISSN 0022-3999, https://doi.org/10.1016/j.jpsychores.2013.07.014
- Bryant, C. J., & van der Weele, C. (2021). The farmers’ dilemma: Meat, means, and morality (Vol. 167, p. 105605). Appetite. https://doi.org/10.1016/j.appet.2021.105605